Je me suis rendu cette semaine en Israël à l'occasion de la onzième Conférence d'Herzliya, la grande conférence israélienne sur la défense nationale. La question de la transition en Egypte était omniprésente mais a été abordée d'une manière différente qu'à Washington.
D'abord, les Israéliens craignent surtout l'instabilité. Aucun intervenant israélien n'a partagé le point de vue de ces néoconservateurs qui croient à la possibilité d'une transition vers une démocratie libérale. Le Professeur Shlomo Avinieri, par exemple, se souvient de la déception avec Nasser sur le soutien verbal donné par le Président David Ben Gourion en 1952 à la révolution égyptienne comme porteur de la démocratie et de la justice sociale. La paix avec l'Egypte — la grande nation arabe — leur a donné une trêve de 33 ans à l'égard d'une guerre tous azimuts.
Et même si, en général, les Israéliens sont profondément démocratiques et n'aimaient pas Moubarak, ils craignent fortement la possibilité d'un nouveau régime populiste hostile à leur égard.
La grande peur, bien sûr, c'est la montée politique des Frères Musulmans, profondément anti-israéliens, et d'un rôle centrale des Frères au Parlement et au gouvernement. Le modèle turque, souvent revendiqué en Egypte, les effraie: les Israéliens considèrent l'influence sociale dont les Frères bénéficient en Turquie, la dénonciation de Shimon Peres à Davos en 2009 par Erdogan, l'affaire de la flottille de Gaza, la diplomatie indépendante à l'égard de l'Iran, comme preuves d'une Turquie qui n'est plus laïque et orientée vers l'occident.
De plus, la possibilité que d'autres régimes puissent tomber dans la foulée, surtout la Jordanie, les inquiète aussi.
L'élément rassurant pour les Israéliens est néanmoins le fait que la révolution en Egypte ne semble point motivée par un désir de rompre l'accord de paix avec Israël.
Et donc l'idée lancée par l'administration Obama — et citée par son ancien conseiller à la Sécurité nationale Jim Jones dans son discours a Herzliya – selon laquelle la clé pour résoudre les problèmes du Proche Orient passerait par la résolution de la situation israélo-palestinienne — semble fausse. Les problèmes de l'autoritarisme et du manque de croissance économique générale semblent en effet être beaucoup plus importants.
Quelle que soit la politique américaine — soutenir la démocratie, comme le souhaitait George Bush, ou promouvoir un accord de paix, comme le veut Barack Obama — ce n'est pas cette variable qui détermine l'avenir du Proche Orient, mais plutôt la dynamique interne aux nations qui est la clé.
L'Egypte est donc aujourd'hui face à un défi démocratique dont la résolution doit venir de l'intérieur. Quoi qu'il en soit, les évolutions futures auront certainement un impact important sur la région. Le pays pourrait même servir de modèle. Mais à l'heure actuelle, de nombreuses incertitudes demeurent après le départ de Moubarak: aucun leader ne semble pour le moment avoir clairement émergé et le tribunal militaire a son rôle à jouer.
Finalement, la question iranienne reste l'affaire la plus inquiétante pour le moment pour Israël, entre son programme nucléaire — arrêté pour l'instant, il paraît, par Stuxnet — et son contrôle par le biais d'Hezbollah, du gouvernement libanais en ce moment. En conséquence, les israéliens ont du mal à comprendre pourquoi le Président Obama a décidé de lâcher Moubarak si rapidement mais a manqué de donner son soutien a la révolution verte en Iran.
Ils trouvent, en fin de compte, que la politique américaine au Proche-Orient manque d'une vision stratégique claire. Ils ressentent une incompréhension de la part des Etats-Unis des problèmes qui touchent leur région. Mais plus encore, ils commencent à déplorer que leur allié se décide néanmoins à tirer les ficelles dans un sens qui ne semble pas approprié à la situation aujourd'hui dans la région.