Herman Kahn, fondateur de l?91 Institute, dcda l??ge de 61ans il y a 27 ans jour pour jour, le 7 juillet 1983. Son dcs fut dramatique pour sa famille et l?Institut et, d?une certaine manire, cette tragdie hante encore, un quart de sicle plus tard, mes collgues et moi-mme.
Kahn fut la source d?inspiration de l?91, son guide. Il donna une unit l?Institut un niveau de pense si lev qu?il fut en mesure d?en faire un think tank unique. Kahn n?tait en rien un idologue - il tait un esprit universel, un physicien et un mathmaticien qui sut voir l?importance de l?tre humain, dpassant les ides prcon?ues et le dogmatisme des affirmations de principe afin de dvoiler la vrit dans toute ses dimensions, sur le futur et les politiques publiques.
Kahn voulait voir l?91 surpasser le prt--penser, apprhender la politique dans la perspective la plus large possible. Il encourageait les individus rflchir sans ce qu?il percevait comme l?incapacit acadmique gnre par les spcialisations universaires, dfaut susceptible de mener les chercheurs soulever les mauvaises questions ou les retenant pousser plus avant leurs tudes. Il avait en effet une ide claire et prcise des interrogations qu?il convient de se poser afin de mieux saisir les phnomnes dans toute leur complexit.
Kahn transforma, par la force de ses visions, la fa?on dont les politiques publiques taient per?ues aux Etats-Unis et dans le monde. Il s?est concentr, comme il le disait lui-mme, sur ce qu?il appelait ?la politique de l?imagination?. Il pensa dfier la sagesse conventionnelle, et se dbarasser des tabous obscurcissant le jugement.
Ses contributions majeures au monde politique furent l?invention de la planification de scenarii pour faire face un environnement politique incertain ou encore le dveloppement de la futurologiepour mieux prdire la direction prise par des vnements. Il ne s?est jamais dtach d?un optisme naturel dont le besoin se fait grandement sentir dans le contexte d?une crise.
Kahn fut le premier apprendre des planificateurs, dans le domaine de la dfense, l?importance des scenarii spculatifs et des exercices de pense, afin d?imaginer, entre autres, comment une guerre nuclaire pourrait advenir. Ces travaux devaient permettre de limiter les dommages potentiels qui pourraient rsulter d?un duel thermonuclaire. En consquence, il fut le pionnier de l?utilisation de scenarii de guerre planifis et parvint convaincre les Etats-Unis dvelopper un programme de dfense civile contre l?Union sovitique.
Bien que Kahn fut probablement le stratge nuclaire le plus influent de son temps, son intrt son porta davantage, ds les annes soixante, l?conomie, la politique et l?influence de nouvelles technologies - dont le dveloppement tait pourant encore relatif. A une poque o nombreux furent ceux qui suivirent les prdictions du club de Rome relatives la pollution excessive, la surpopulation et au manque de ressources naturelles, Kahn fut un grand optimiste qui affirma que les manques de ressources mneraient de nouvelles technologies qui permettraient, leur tour, des rcoltes plus efficaces.
Envisageant la technologie comme une mcanique actionne au service du progrs conomique, Kahn parvint saisir les effets de sa dmocratisation - frappantes dans son ouvrage classique L?anne 2000 [The Year 2000], rdig en 1967. Il put prdire avec justesse que l?Occident, trois dcennies plus tard, serait plus riche que quiconque aurait pu l?imaginer.
Kahn avait une approche philosophique particulirement lucide de l?histoire. Il dsigna comme la Grande transition le mouvement historique long de quatre sicles et demi qui commen?a avec le dbut de l?histoire moderne en Europe et dont il a envisag l?achvement avec la fin du XXIIme sicle, lorsque le monde serait, dans son ensemble et par essence, devenu moderne et ventuellement post-industriel.
Herman Kahn avait une foi indfectible en la plein capacit d?individus libres et responsables et envers le pouvoir du libre-march rsoudre des problmes que l?humanit pensait jusqu?alors insolvables. Il insista sur la faisabilit, la ncssit et la moralit de la croissance conomique globale, quand bien mme celle-ci serait susceptible d?avoir des co?ts humains et matriels; tant les bnfices sont en mesure de surpasser ces co?ts. Et, en effet, je per?ois aisment la vision d?Herman Kahn chaque fois que je me rends dans un pays en dveloppement, devant des femmes d?un certain ?ge, vtues de costumes traditionnels, utilisant des tlphones portables dans des agglimrations qui n?ont pas d?accs courant l?lectricit. Aussi, Internet donne un nombre grandissant de villages l?accs une forme d?apprentissage alors que ces mmes villages taient la priphrie du monde duqu il y a encore une ou deux gnrations. Indniablement ces technologies - et les autres outils capables de renforcer le pouvoir de la population qui restent encore inventer - gnreront plus de richesse que nous ne pouvons l?imaginer dans les dcennies venir.
Kahn fut un pionnier de la futurologie, se concentrant sur les mthodes permettant de construire des futurs alternatifs, sur les objectifs de la recherche oriente vers l?avenir, sur les scenarii et la construction de scenarii, sur le r?le des variables dans les prdictions et sur la manire de faire face l?impact dynamique de l?innovation technologique lorsqu?on tente de prdire l?avenir.
Kahn nous rappelle que le processus de recherche et toujours orient vers l?action et ainsi vers le futur. Contrairement de nombreux chercheurs qui tenteraient de fractionner la ralit selon des frontires disciplinaires, les preneurs de dcisions ne peuvent envisager le rel selon des segments arbitraires ou selon certaines facettes de phnomnes - ils doivent apprhender une dclinaison approprie de possibilits, mme celles peu susceptibles d?avoir des consquences dsirables ou catastrophiques. Ainsi, la politique doit pouvoir tre en mesure de planifier celles qui sont plus ou moins prvisibles et parvenir penser l?incertain.
Kahn croyait fermement au r?le des ides comme moteur du changement politique. Aujourd?hui, le scepticisme de Kahn, sa largeur d?esprit et son imagination son amrement regretts, alors que nous faisons face la menace d?un Iran disposant de l?arme nuclaire, des politiques privilgiant la redistribution de richesses plut?t que leur accroissement et un systme de rgulation conomique mondial. Son aide aurait indniablement t des plus prcieuses pour dfinir les solutions la fois cratives et ralistes dont nous avons aujourd?hui le plus grand besoin.
En guise de conclusion, on pourra faire remarquer que l?Universit de Berlin vient , inspir par les travaux d?Herman Kahn.